Comment Geoguessr a-t-il changé ma façon d'apprendre ?

Publié le 28/05/2023

À l'instar de beaucoup d’autres, c’est la période COVID et ses confinements qui me feront passer des heures sur Geoguessr. Créé par le développeur suédois Anton Wallen, le concept du jeu est inventif. Plongé en immersion dans les rues du monde entier, le joueur navigue entre les photographies à 360° pour trouver des indices et deviner sa position géographique. Chaque manche démarre a un endroit du monde tiré au hasard. La stratégie consiste à se déplacer le long de la route jusqu’à tomber sur des panneaux. Ils apportent des indices précieux comme : la langue parlée, le nom des villes aux alentours, etc. Au fur et à mesure qu’il se déplace, le joueur accumule les informations puis pointe sur une carte l’endroit où il pense se situer.

Les styles et stratégies de jeu sont variés :

La première fois, c’est déroutant. Comme à chaque fois, d’ailleurs. On apparaît au milieu de nul part. Au fin fond de la France, des routes sinueuses et rien. Rien. On se déplace et on arrive au niveau d’un village : « Freycenet-la-Cuche ». Tiens, tiens, aucune idée d’où se trouve ce charmant village de plateau. Le temps est écoulé, et la réponse apparaît à l’écran : nous étions en Haute-Loire à l’ouest de Valence.

Après quelques parties, on prend confiance et quelques claques, aussi. Quand on est sûr d’être aux États-Unis et qu’en réalité, il s’agit de la Nouvelle-Zélande, on remballe son égo.

Jouer en compétition ne laisse pas place à l’erreur. Et il faut alors un raisonnement sans faille. Comment déterminer le pays dans lequel je me trouve ? J’ai des intuitions, mais sans aucune certitude. J’ai des indices mais ils sont tous contradictoires et je ne reconnais pas la langue parlée : slovaque, tchèque ou croate ? Diantre, c’est la hess.

Geoguessr m’a appris trois choses :

Ces trois idées forgent le cœur de la pensée bayésienne, intitulée en mémoire d’un grand monsieur : Thomas Bayes, mathématicien britannique. La méthode bayésienne s’intéresse à la crédibilité d’une idée. Elle essaye de mesurer la plausibilité d’une hypothèse.

Exemple : Mon rendez-vous galant vient de me poser un lapin. Pour quelle raison ?

Hypothèse 1 : Je ne lui plais pas et elle n’a pas osé me le dire avant. C’est possible, mais ça ne lui ressemble pas. Mais après tout, je ne la connais pas tant que ça. Probabilité de 15%.

Hypothèse 2 : Un sinistre dégât des eaux s’est déclaré dans son appartement après la fin de son cycle de lavage lessive. Elle a donc été retenu chez elle. Mmmh, probabilité de 0.005%. C’est très peu plausible.

Hypothèse 3 : Elle est restée plus tard au travail mais elle arrive bientôt. Probabilité de 50%. Seulement, pourquoi ne me l’aurait-elle pas dit dans ce cas ? Probabilité de 25%.

Hypothèse 4 : Elle est bloquée dans les transports. Probabilité de 10%. Elle m’a dit qu’elle viendrait en vélo, il ne devrait pas y avoir de soucis avec ce mode de déplacement.

Indice 1 : Ah ! Mais il pleut, donc elle a sûrement abandonné l’idée de venir à vélo.

Indice 2 : Elle ne m’a pas prévenu ; peut-être parce qu’elle ne capte pas dans le métro.

L’hypothèse 4 gagne en plausibilité.

Indice 3 : Je regarde mon appli de transport et je vois que le métro est bloqué pour 20 min à cause d’une panne.

C’est très probablement la 4.

Voilà un cas simple de raisonnement bayésien. La méthode consiste à tenter d’expliquer un phénomène en proposant plusieurs causes possibles. Chaque cause proposée est une hypothèse avec une certaine plausibilité. Au fur et à mesure de l’enquête, les indices vont modifier la plausibilité qu’on attribue à chacune des causes. C’est celle qui a la plus grande plausibilité qu’on considère comme étant la plus vraisemblable.

C’est d’une simplicité déconcertante, et pourtant, peu de personnes raisonnent, par nature, de cette manière. Geoguessr est une bonne excuse pour s’entraîner au bayésianisme. C’est la stratégie la plus efficace pour gagner. Elle permet d’adopter une posture humble : je ne suis jamais sûr à 100% de ma réponse. Cependant, je sais dire pourquoi je privilégie cette hypothèse plutôt qu’une autre. J’ai donc des arguments solides. Néanmoins, j’hésite entre deux réponses. Il me suffit de trouver les bons indices pour réfuter ou corroborer l’une des deux. Dès lors, j’aurai une réponse tangible.

On dit souvent qu’il n’est pas correct d’avoir des préjugés, de façon générale. La méthode bayésienne est curieuse sur ce point. Elle préconise le contraire. Il faut avoir un apriori sur les phénomènes. Sans apriori, il est impossible de formuler des hypothèses, n’est-ce pas ? En revanche, rien n’empêche de s’abstenir lorsqu’on sait que ses préjugés ne sont pas irrécusables. La modestie est toujours bienvenue.

La pensée bayésienne a révolutionné ma façon d’apprendre et de raisonner. Évidemment, elle ne garantie pas la vérité, ni le salut. L’incertitude est toujours présente quelque part.

D’ailleurs, pour mon rendez-vous galant, en fait, non, ce n’était pas la 4. On l’a appelé juste avant le rendez-vous, pour lui demander de récupérer le canapé qu’elle avait déniché sur Le Bon Coin. « Du coup, j’ai appelé un ami pour m’aider à le transporter, et du coup on a galéré, et du coup voilà pourquoi je suis en retard. Désolée, j’espère que t’as pas trop attendu ». « Haha, non ça va t’inquiète ».